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CULTURE


"La Revue Noire" met en lumière un siècle de photo africaine

EMMANUEL GRANDJEAN
18 octobre 2001

  

EXPOSITION - Un Palais des Nations sur ses gardes accueille les                        images fixes du continent noir.
  
Clique pour agrandir la photo.L’histoire retient par tradition la date de 1839 pour la première photographie. L’image, très contrastée, représente un boulevard du Temple aussi vide qu’une plaine du Grütli un jour de non-fête nationale. Si l’artère paraît peu fréquentée, c’est que la machine de Louis Jacques Mandé Daguerre nécessite des temps de pause fort longs. Elle ne fixe donc rien des mouvements rapides des calèches et des citoyens. Qu’importe, l’invention connaît une fortune qui franchit aisément les barricades de la Commune. Et, à en croire l’exposition L’Afrique par elle-même: 100 ans de photographies visible depuis hier à l’ONU, débarque presque aussitôt sur le continent noir.

Autre Afrique

Clique pour agrandir la photo."Les premiers appareils sont arrivés avec des photographes occidentaux ou des militaires. Ces voyageurs montaient leur studio de village en village et formaient des apprentis", explique Pascal Martin Saint Léon. Architecte de formation, ce Français a cofondé La Revue Noire il y a dix ans "pour présenter un autre aspect de l’Afrique. Quelque chose de moins paillotes et cocotiers. L’idée était de montrer à travers la culture le dynamisme d’un continent trop souvent perçu comme allant à la dérive".

Il allait donc de soi pour les représentants onusiens de la francophonie de demander à l’éditeur une exposition sur la photographie africaine, l’organisation affichant cette année "le dialogue entre les cultures" à son calendrier. Montée avec Sandra Coulibaly Leroy, directrice adjointe de la francophonie au Palais des Nations, l’accrochage présente 94 images originales ou retirées, toutes prises en Afrique par des Africains.

Galerie de portraits

Clique pour agrandir la photo.Pas de savane ni de grandes étendues désertiques au programme. L’essentiel des tirages exposés montre des visages. "Pendant la période de la colonisation il était formellement interdit de prendre des images en extérieur. Par raison de sécurité sans doute", précise Pascal Martin Saint Léon dont la voix résonne sous l’immense plafond de la salle des Pas perdus.
"Du coup, les photographes se sont repliés dans leur studio pour travailler essentiellement le portrait." Le spécialiste pointe l’image d’une naïade fixé dans les années 50 par Mama Casset, le maître sénégalais du genre. "Il a créé le stéréotype de l’attitude féminine: lèvre entrouverte, doigts légèrement écartés, sans oublier les yeux qui doivent laisser voir leur blanc."

Habits du dimanche

Clique pour agrandir la photo.Les tenues mis à part, on pose en Afrique comme en Occident. Des deux côtés de la Méditerranée les modèles portent beau pour leur séance photo. L’image n’est-elle pas censée les immortaliser pour l’éternité? Mais si en Afrique du Sud les clients s’endimanchent comme pour le Grand Prix d’Epsomavec guêtres et nœud papillonles femmes de Saint-Louis, elles, choisissent des atours plus typiques.

"Ce cliché a été miraculeusement conservé", précise le commissaire de l’exposition devant une jeune fille saisie vers 1920 dans un intérieur à fleurs. Le nom du portraitiste n’est pas connu. "Il n’est pas rare qu’à la mort du photographe, la famille jette toutes ses archives. Celui-ci a eu plus de chance. C’est l’un de ses confrères qui a tout gardé."
Manière de dire qu’en Afrique la prise de conscience d’un patrimoine iconographique reste récente. Elle s’amplifie depuis qu’à Bamako s’organise une biennale de la photo. La manifestation, dont la 4e édition vient de s’ouvrir, a déjà révélé quelques talents. Dont celui de Malick Sidibé qui n’est pas à proprement parler le premier venu.
Agé de 64 ans, le photographe, à qui le Centre d’art contemporain de Genève a consacré une exposition en 2000, doit sa célébrité à son Bamako by night, daté des années 60. L’appareil en bandoulière, Sidibé traîne à l’époque dans les boîtes de nuit. Et part brosser le portrait d’une jeunesse qui découvre, en même temps que l’indépendance, la pop anglaise et la mode des sixties.

Folle nudité

Si les souvenirs de night-club demeurent, aujourd’hui encore, ils sont la principale source de revenu des photographes du continent, "malheureusement moins nombreux qu’en 1900 à exercer le métier", se désole Pascal Martin Saint Léon. "La presse manquant souvent de moyens et le matériel coûtant cher, la plupart se replient sur les photos d’identités." Quelques-uns se risquent pourtant au reportage. Des histoires que La Revue Noire s’efforce de publier. Comme ces Fous d’Abidjan que Dorris Haron Kasco a suivi dans les rues. Images délirantes d’hommes et de femmes qui se promènent complètement nus au milieu des voitures. Et dont le visiteur se demande bien ce qu’un Sélassié léonin, exposé un peu plus loin, peut en penser.