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Sommaire de l'atelier de Ch. Duchesne

L'atelier d'écriture de
Christiane Duchesne


   

Avancement de la rédaction du texte (2)

   
1er février 2001
 
 5 
- Qu'il est beau ! Mais qu'il est beau ! s'écrie Méraldine. 
À tue-tête dans son portable, elle hurle plus qu'elle ne parle à sa grande amie Léone. 
- Viens le voir, Angèle ! Tu vas l'adorer ! Il a l'air tellement humain ! C'est ça qui m'a décidée. En fait, il est beau comme tout, mais ça n'est pas tout d'être beau, tu le sais bien, Léone ! Lui, il a. Il a. Je ne sais pas ce qu'il a, mais je n'ai pas pu résister !
Dans dix minutes ? C'est bon, je t'attends. Je prépare l'infusion.

Méraldine s'affaire au milieu du jardin, tournant et retournant autour de sa trouvaille, agitant les mains autour de sa vieille figure, sautillant dans les herbes hautes qu'elle n'a pas eu le courage de tondre. Elle plante les yeux dans le regard du nain.
- On dirait que vous allez me dire quelque chose, monsieur le nain ! Vous avez l'air tellement vrai, c'est ce que je disais à mon amie Angèle qui s'en vient vous voir dans quelques minutes. Oh, on dirait que vous avez bougé ? Ne me faites pas peur.

De fait, Méraldine est légèrement (oh, très légèrement !) effrayée. Elle a vraiment cru voir les yeux de son nain bouger un peu. Elle a même l'impression qu'il a tourné la tête d'un demi centimètre vers la gauche.

Minus Cortex ne sait plus quoi faire. Il sent bien qu'il pourrait parler, que sa voix retentirait pour vrai. Il sait très bien qu'il peut bouger. Mais il n'ose pas le faire devant la vieille Méraldine. 
D'abord, elle a l'air d'une sorcière. Elle a vraiment une tête à jeter un sort. Et même si elle était la dame la plus gentille au monde, jamais il n'oserait lui montrer qu'il n'est pas un nain de jardin. Un, elle serait trop déçue ; deux, elle tomberait peut-être sans connaissance ; trois, elle tenterait peut-être de le faire prisonnier. S'il veut s'échapper et retrouver son allure véritable, monsieur Nuche (alias Minus Cortex) doit travailler dans l'ombre et ne pas révéler sa vraie nature. Surtout, ne pas manifester quoi que ce soit qui puisse montrer qu'il est vivant.

Il n'a pas le temps de réfléchir plus longtemps qu'arrive en trombe dans le jardin une énorme dame. On dirait qu'elle roule, et pourtant elle court ! Minus Cortex a peine à ne pas rire. On dirait une énorme boule qui va tout écraser sur son passage, une boule de quille qui va réussir l'abat du
siècle ? Au secours ! voudrait crier Minus Cortex. Elle va l'écraser ! Il faut l'arrêter. Aaaaaaah !
La grosse Angèle stoppe juste avant de passer sur Cortex comme l'aurait fait un rouleau compresseur.
Derrière elle, monte la voix de Méraldine.
- N'est-ce pas qu'il est beau ? Dis-moi, Angèle, dis-moi que tu n'en a jamais vu d'aussi beau.
Médusée, l'énorme Angèle n'arrive pas à articuler un mot. Elle avance délicatement la main pour caresser la tête cachée sous le bonnet et, aussitôt, pousse un petit cri.
- Il n'est pas beau, c'est ça ? Pourquoi tu cries comme un écureuil,
Angèle ? 
- On dirait. On dirait qu'il a bougé la tête. J'ai approché la main, comme ça, pour le toucher et. j'ai eu peur, Méraldine, ajoute Angèle tout bas.
- Il a l'air tellement vrai ! Je pense que c'est le plus beau nain de jardin qu'on n'a jamais vu, et il est tellement réussi qu'on pense qu'il bouge ou qu'il a bougé. C'est la grande réussite de la personne qui l'a fait. Angèle, ajoute Méraldine d'un ton fort sérieux, est-ce que ce n'est pas ça, l'Art ? L'Art avec un grand A ? Quand les créations sont tellement troublantes qu'on dirait qu'elle font partie de la vie ?

L'énorme Angèle ouvre de grands yeux. Est-ce que ce nain de jardin ne lui aurait pas totalement troublé l'esprit ? Qu'est-ce qui lui prend à parler ainsi d'Art avec un grand A à cause d'un petit bonhomme de plâtre peint ? Elle, Angèle, c'est de l'Amour avec un grand A dont elle parlerait plutôt. Au premier regard, et surtout au deuxième, elle a compris que c'est avec ce petit homme qu'elle devait faire sa vie. 

Monsieur Nuche voudrait bien rentrer chez lui. Ce qu'il n'aime pas du tout, mais pas-du-tout, c'est de sentir qu'il ne sait plus très bien qui il est. Il sait qu'il s'appelle Amédée Nuche et qu'il est attendu au grand congrès des Hommes de Chapeaux, mais cela devient de plus en plus flou. Est-ce qu'il ne serait pas plutôt Minus Cortex, nain de jardin, qui prétendrait avoir été déjà représentant dans la vente de chapeaux ? Minus Nuche, Amédée Cortex.

Tout à coup, tout devient noir. D'un coup, et avec une certaine violence, monsieur Nuche vient de sombrer dans l'obscurité la plus totale. Un silence terriblement opaque flotte autour de lui. Difficile de bouger. On dirait qu'il s'est enfoncé dans une matière souple qui ne permet pas tellement le mouvement, mais qui ne donne pas l'impression d'emprisonnement. " Où diable suis-je donc ? " se demande monsieur Nuche.
  

Me revoici, Ernest Ledestin. J'ai dû agir très rapidement, ne m'en veuillez pas. Je n'ose même pas vous décrire la scène tellement elle était terrifiante. Au moment où la gigantesque Angèle a décidé de se pencher vers Minus Cortex pour l'embrasser, Méraldine a réagi violemment. Que son amie Angèle apprécie son étonnant nain de jardin était une chose, mais qu'elle en tombe ouvertement amoureuse en était une autre ! Insupportable ! Horrifiant ! Et l'amitié, dans tout ça ?
Point n'est besoin de vous dire que les choses se sont passées très vite. J'y suis pour quelque chose dans une certaine mesure. J'ai cru bon veiller au grain avant que le drame ne se produise.
Donc, la grosse Angèle se penche, éperdue, vers Minus Cortex. Méraldine ne le supporte pas, elle fond comme un vautour sur sa meilleure amie, trébuche, fait trébucher la très énorme Angèle, qui s'abat aussitôt, enfouissant le pauvre Minus Cortex sous ses seins généreux (on aurait dit des baleines en vacance !). et sous la terre. 
Quand finalement Angèle a pu se relever, le nain avait disparu, enfoncé complètement dans la terre du jardin. Imaginez les cris d'émoi des deux dames, on aurait dit une famille de putois. Et ça se lance la balle, et ça se la relance ! 
- C'est ta faute, grosse bête !
- Tu m'as poussée !
- Tu allais l'embrasser ! Et c'est mon nain à moi !
- Jalouse, tu es jalouse !
- Grosse niaise !
- Grande folle !
et ainsi de suite jusqu'à ce qu'elle se battent, oubliant à son triste sort le pauvre Minus. Lorsqu'elles s'arrêtent enfin, Angèle et Méraldine éclatent tout à coup en sanglots, réalisant comment par leur bêtise, elles ont perdu toutes les deux l'objet de leur admiration.

Moi, Ernest Ledestin, j'ai un peu organisé les choses. J'ai cru bon modifier un peu l'apparence de ce bon monsieur Nuche pour qu'il échappe aux fouilles que s'apprêtaient à faire nos deux bonnes dames. 
Je l'ai donc momentanément transformé en ver de terre, un long et noble lombric bien gras. Ainsi, il passera inaperçu. Il doit cependant presser le pas (si l'on peut s'exprimer ainsi dans le cas d'un ver de terre), car Méraldine a déjà sorti la bêche, et un coup un peu costaud pourrait couper en deux notre pauvre invertébré. 
  

Monsieur Nuche prend un long moment à comprendre où il se trouve. Plus de pieds, plus de mains, rien que ce corps joufflu et long qui ondule sous la terre. Il s'étonne de la fraîcheur de l'humus le long de sa peau lisse.
- Bien le bonjour, monseigneur Albert !
- Je vous demande pardon ? fait monsieur Nuche sans savoir qui vient de lui adresser la parole.
- J'ai dit : Bien le bonjour, monseigneur Albert ! Vous n'êtes pas sa Majesté Albert le second ?
- Pas que je sache. mon nom est.
- Ta, ta, ta ! Pas de chichis ! Votre nom est bien Albert. Moi, c'est Norbert, vous ne me reconnaissez pas ? Moi, je sais très bien qui vous êtes. Vous avez beau vouloir rester incognito, j'ai bien reconnu votre subtile manière de vous délacer, Majesté.
- Majesté ? fait monsieur Nuche, interloqué.
- Sa Majesté Albert, le roi des vers, vous ne tromperez pas l'un de vos meilleurs sujets. Vous savez bien que moi, Norbert, je vous défendrai jusqu'à la mort !
- Vous me défendrez contre qui ?
- Majesté ! Mais contre l'armée des Taupes qui vient de se lever contre nous ! La situation est explosive ! Et vous, vous restez calme ! Je vous admire, Majesté.
- Je suis absolument désolé de vous décevoir, mais mon nom est Amédée Nuche, je dois en ce moment présenter une conférence sur l'avenir du chapeau dans la mode actuelle, je devrais déjà être au congrès des Hommes de Chapeaux et vous voudrez bien m'excuser si.
- Alerte ! Sus au traître ! Il y a un traître dans nos murs !

Même si les déplacements souterrains ne sont pas encore la chose la plus facile pour monsieur Nuche, il pousse tous ses anneaux vers l'avant, déblaie le plus vite qu'il peut la terre qui lui bloque la tête. Vite, vite ! Il faut échapper à l'armée des Vers qui s'avance derrière lui. S'Il faut qu'en plus il rencontre une taupe, son compte sera bon !
Il lui faut sortir de terre au plus tôt, mais sortir à l'air libre, et dans ce cas-ci " l'air libre " signifie n'importe où sauf dans le jardin de Méraldine qui doit bécher à tour de bras à la recherche de son nain disparu.
Dans le fond de son minuscule cour de lombric, monsieur Nuche se dit que, décidément, il n'est vraiment jamais au bon moment au bon endroit.

À suivre ...
  

 
   

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